Newsletter n°21 | L'art de se faire rouler pour rien.
L'utilité des rouleaux de massage sur les performances sportives.
J’ignore quelle est l’ampleur de l’utilisation des rouleaux de massage dans les centres de fitness ou dans le sport en général, mais force est de constater que ces outils sont présents en masse. Et quand nous savons que 81% des “professionel·les fitness” (thérapeutes manuel·les, entraîneurs·ses et coach·es) utilisent un rouleau de massage dans leurs pratiques (Cheatham et al., 2018), nous pourrions penser que l’argument d’autorité pourrait participer à la popularisation de l’outil.
Les mécanismes initiaux proposés pour l’automassage, notamment par le biais d’un rouleau, concernaient la diminution de la perception de douleur et l’augmentation du flux sanguin. Ces deux mécanismes pouvaient contribuer à l’amélioration de la récupération et des performances. Nous reviendrons dans une autre newsletter sur la récupération. Pour l’heure, nous allons nous intéresser aux performances.
Question. L’emploi du rouleau de massage sur une période de plusieurs semaines permet-il une amélioration des performances comme le suggèrent certaines hypothèses mécanistiques ? C’est grâce à une revue systématique avec méta-analyse de Konrad et al., (2022) dans International Journal of Environmental Research and Public Health que nous allons tenter de répondre à cette question.
Données générales de l’article.
👉 La revue a considéré les critères d’inclusion suivants :
effets chroniques, soit sur une période d’intervention >2 semaines ;
population dite “saine”, càd sans atteinte pathologique particulière ;
des critères d’évaluation comme la force, la puissance et la hauteur de saut ;
uniquement des essais contrôlés randomisés (ECR) ou non (NRSI1) ;
présence d’un groupe contrôle passif, càd qui ne faisait pas une autre intervention (e.g., étirements).
👉 8 études ont été incluses dans la revue, dont 6 essais contrôlés randomisés.
👉 Les interventions disposaient des caractéristiques suivantes :
durée et fréquence. La durée médiane des protocoles a été de 6 semaines (range 4 à 8) et la médiane de la fréquence a été de 3 sessions / semaine (range 2 à 6).
prescription de durée des automassages. Pour 7 études sur 8, la durée médiane a été de 120 secondes (range 45 à 240).
report du volume total au cours des protocoles. Pour 7 études sur 8, la durée médiane durant tout le protocole a été de 2160 secondes (range 1080 à 3685).
prescription de l’intensité des automassages. Pour 2 études sur 8, l’intensité a été de 7/10 sur échelle analogique visuelle (EAV) alors que pour 3 autres études des consignes spécifiques étaient données (e.g., “autant de poids du corps possible” ou encore “en-dessous du seuil de douleur”).
👉 Au total, 245 personnes ont été concernées :
sexe. 2 études concernaient les hommes uniquement, 1 étude les femmes uniquement et 5 études les deux sexes.
âge. 22.9 ± 4.2 ans.
statut d’entraînement. 2 études concernaient des individus entraînés, 4 études des individus actifs et 2 études des individus probablement novices.
👉 La qualité des études a été jugée grâce à l’échelle PEDro (/10) et le score moyen a été de 6.25 ± 0.89 (range 5 à 8). Les biais principaux concernaient le processus de randomisation ainsi que la condition aveugle de l’assesseur(-se) concernant les mesures.
👉 Une analyse de sous-groupe a pu être réalisée sur la conception méthodologique (ECR vs. NRSI). Des méta-régressions ont été réalisées pour la relation entre les tailles d’effet et : l’âge, la durée des protocoles et la durée totale des automassages.
Résultats.
👉 Par analyse de performances combinées2, les résultats ne mettent pas en évidence de bénéfices de la part des automassages : SMD = -0.294 (IC95% -0.828 à 0.240 ; p = 0.281). L’estimation des résultats semble être influencée par l’hétérogénéité : I² = 73.68%. Voir figure ci-dessous.
👉 L’analyse de sous-groupe relative à la conception des études n’a révélé aucune différence de résultats entre les ECR et les NRSI (Q = 0.183 ; df = 1 ; p = 0.67). Voir figure ci-dessous. Nous en discuterons en “commentaires personnels”.
👉 Les méta-régressions n’ont pas révélé de liens entre les variables modératrices et les tailles d’effet : âge (R² = 0.10 ; p = 0.37), durée des protocoles (R² = 0.17 ; p = 0.35) et la durée totale des automassages (R² = 0.24 ; p = 0.11).
Discussion des résultats par les auteurs.
👉 Résultats principaux. Les analyses ne semblent révéler aucun bénéfice de la part des automassages sur les performances motrices chez des individus novices à entraînés pour des périodes de 4 à 8 semaines.
👉 La conception méthodologique ne semblait pas influencer les résultats (je discute plus bas des incohérences). De plus, les tailles d’effet ne semblaient pas dépendre de variables modératrices comme l’âge, la durée des protocoles ou encore la durée totale d’automassages. Néanmoins, les auteurs relèvent que les ranges d’âge et de durée des protocoles sont plutôt étroites, allant de 15 à 30 ans ou encore de 4 à 8 semaines. La validité externe semble donc limitée. De même que peu d’études sont disponibles, les résultats des analyses pourraient donc être modifiées à l’avenir par l’ajout d’études ayant cherché à répliquer les résultats.
👉 Bien que la méta-régression n’ait révélé aucun lien entre durée total d’automassages et taille d’effet, les résultats pourraient dépendre d’une durée totale plus importante, durée qui allait de 18 minutes (1080s) à ~61 minutes (3685s) pour les études incluses dans la revue. Peut-être serait-il intéressant de tester les effets des automassages avec un volume plus conséquent.
👉 Certaines positions adoptées lors des automassages pourraient impliquer un travail du core identique à l’exercice de planche. L’amélioration des performances dans certaines études pourraient dépendre de l’amélioration du core3 plus que des effets directement liés aux automassages.
👉 Les automassages semblent altérer la perception de douleur plus que de modifier la structure musculaire, notamment la raideur. Ces mécanismes potentiels ont essentiellement une implication vis-à-vis des gains de souplesse.
Commentaires personnels.
👉 Inutile de l’évaluer rigoureusement, la qualité de la revue évaluée par le biais de l’AMSTAR 2 (Shea et al., 2017) sera jugée comme critique, signifiant que la revue dispose de plusieurs risques de biais importants et qu’elle ne peut pas fournir un résumé compréhensif et précis des résultats disponibles dans la littérature scientifique.
👉 Il ne semble pas qu’il y ait de biais de publication vérifié par funnel plot et test de Egger (bien que non-recommandé pour les différences moyennes standardisées4).
👉 Bien que les résultats concernant une même évaluation (e.g., force maximale) puissent être “résumés” en une seule valeur pour éviter les pseudo-réplications et ainsi éviter les corrélations intra-études (Kadlec et al., 2023), cela ne signifie pas qu’il faille résumer toutes les évaluations en une seule donnée… Ce qu’ont fait les auteurs en compilant les mesures de force, de puissance et de hauteur de saut. Des analyses séparées auraient pu mettre en évidence des effets plus ou moins bénéfiques selon le type de performances évaluées, comme c’était le cas de la revue de Wiewelhove et al., (2019).
👉 Les auteurs ont employé l’échelle PEDro pour l’évaluation des risques de biais. L’impossibilité de conditions aveugles pour les participant·es et les chercheurs/-ses rend l’emploi de l’échelle PEDro limitée rendant l’affirmation des chercheurs sur les “faibles risques de biais des études incluses” disons… discutable. En réalité, d’autres échelles apparaissent plus appropriée pour juger de la validité interne des études, notamment longitudinales, en sciences du sport, comme l’échelle TESTEX (Smart et al., 2015) et SMART-LD (Schoenfeld et al., 2023, preprint). Je ferai un article plus détaillé sur cette arnaque qu’est l’échelle PEDro, surtout en sciences du sport.
👉 L’analyse de sous-groupe visant à vérifier l’influence de la conception méthodologique (ECR vs. NRSI) est intéressante et fait partie des critères d’évaluation de l’AMSTAR 2 (Shea et al., 2017). Toutefois, quelques incohérences se sont glissées dans la revue. En effet, 3 études ont été considérées comme NRSI, soit des essais non-randomisés, en Table 1 et Figure 4. Mais les points de randomisation par le biais de PEDro ont été attribués à deux d’entre-elles en Table 3. Du coup, ce sont des ECR ou des NRSI ? Eh bien l’étude de Kasahara et al., (2022) est un ECR et celle Stovern et al., (2019) est un NRSI. Donc en réalité, l’analyse de sous-groupes en Fig.4 compare 2 NRSI à 7 ECR, rendant l’analyse peu représentative d’une potentielle différence de résultats entre des NRSI et des ECR.
👉 Pour rester général et éviter que cette newsletter soit interminable, les résultats de Konrad et al., (2022) sont en phase avec d’autres analyses précédemment proposées (Pagaduan et al., 2022 ; Wiewelhove et al., 2019). Les tailles d’effet sont minimes et pourraient dépendre des risques de biais ainsi que de potentiels effets contextuels. Seules deux études en commun entre la revue systématique de Pagaduan et al., (2022) et celle de Konrad et al., (2022), pourtant ces deux revues avaient des critères d’inclusion proches. La revue de Wiewelhove et al., (2019) disposait de critères différents, pouvant expliquer la différence du nombre d’études incluses. Dans tous les cas, les résultats ne semblent pas indiquer d’amélioration de performances par le biais des rouleaux de massage. Il semblerait que les automassages puissent être utiles pour leurs effets aigus sur la souplesse toutefois mais cela sera probablement l’objet d’une autre newsletter !
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Non-Randomized Study of Intervention
Toutes les performances (force, puissance, hauteur de saut) ont été réduites à un seul résultat représentatif.
Pour une discussion sur le travail du core et les performances motrices, voir la newsletter n°14.
“Some tests, including the original and widely used Egger test [51] and Begg and Mazumdar test [62], are not recommended for application to odds ratios and standardized mean differences because of artefactual correlations between the effect size and its standard error [56, 57, 63].” (pp.84)